Liège 2015, Mons 2015 et les citoyens

Le cas Liège 2015

Liégeois d'origine et habitant à Mons depuis une dizaine d'années, j'ai suivi de près la compétition, en 2008-2009 entre les candidatures de "Mons 2015" et de "Liège 2015", pour le titre de Capitale Européenne de la Culture.

Deux projets à-priori similaires mais qu'en réalité, tout opposait !

• À Mons, les autorités étaient volontaires et la candidature ne faisait pas de doutes. Le dossier était déjà pris en charge par la Ville suite à un soutien du gouvernement qui date de 2004.

• À Liège, c'était un peu plus compliqué. un élu CDH, en donne un aperçu dans un article du journal Le Soir : « nous avions promis à Elio Di Rupo de respecter l'accord de 2004 sur Mons 2015 en lui demandant de respecter l'accord sur la réalisation de la liaison autoroutière CHB [Cerexhe-Heuseux/Beaufays] ».

La formule était créée : "À Liège, on échange la culture contre du béton".

Willy Demeyer, bourgmestre de Liège, très ancré culturellement (il était présent lors d'un prime de Secret Story), va jusqu'à déclarer dans La Meuse à propos d'une pétition qui circule : « Même si la pétition en cours recueillait 100.000 signatures, je ne changerais pas d’avis ».

La démocratie en action...

Mouvement citoyen de Liège

La pétition n'ayant pas réussi à faire changer le Conseil Communal d'avis, une riposte citoyenne se met rapidement en place.

Le 10 juin 2008, un comité "Liège 2015" se crée, rapidement suivi d'un site web (Liege2015.eu).

À partir de ce moment, un véritable réseau citoyen se met progressivement en place pour rassembler les liégeois autour d'un projet commun, le tout avec une transparence et une communication exemplaires qui, 5 ans plus tard, laissent encore des traces indélébiles sur le net.

Le comité est très soutenu par les acteurs locaux. le Président de la Présipauté du Groland apparait même sur un écran géant lors d'une soirée culturelle Liégeoise :

« Liégeoises, Liégeois. Tout Groland est ému par votre situation. C’est pourquoi je demande aux 4.000 Grolandais immigrés à Liège de signer la pétition qui fera de Liège la capitale européenne de la culture en 2015. Je suis Liégeois. Ik ben Liégeois. Vive Groland. Vive Liège 2015. »

Le surréalisme à la Belge !

Ce mouvement citoyen recueille jusqu'à 22 000 signatures locales et obtient l'organisation d'une consultation populaire dans la ville sur la question "Souhaitez-vous que la Ville de Liège pose sa candidature au titre de capitale européenne de la culture en 2015 ?". Une consultation populaire est un phénomène rarissime au sein de notre pays et c'est la première fois qu'elle est organisée dans une grande ville à l'initiative des citoyens.

Au final ce sont 18 446 personnes qui se déplacent un dimanche pour aller voter et soutenir leur projet, leur ville ! L'effort collectif est impressionnant mais tombe malheureusement trop court de quelques votes car la loi impose un minimum de 19 100 électeurs pour permettre un dépouillement des urnes [1].

Suite à cette désillusion, le collectif 2015 a très vite reconnu son échec mais a laissé derrière lui une dynamique citoyenne exceptionnelle et assez peu banale dans notre pays. Il a également mis la barre très haute pour Mons 2015.

[1] Regrettons au passage certaines irrégularités (milliers de convocations manquantes, refus de personnes aux bureaux de vote, etc.) qui ont certainement remis en question le résultat de la consultation.

Le cas Mons 2015

Je ne vais pas y aller par 4 chemins : de mon point de vue personnel, ces 5 dernières années ont été d'une certaine tristesse culturelle, indigne d'une future capitale européenne. Jusqu'il y a peu et malgré un financement colossal de plus de 60 millions d'euros, Mons 2015 se limitait pour moi à des badges, beaucoup de badges...

Fortement impliqué dans les affaires étudiantes, j'ai vu ces dernières années la ville reprendre à ces derniers toutes les salles potables dans lesquelles ils pouvaient organiser des soirées. Faisant de Mons la seule ville universitaire en communauté française sans salle de fêtes digne de ce nom pour accueillir les étudiants.

Pour couronner le tout, la Fondation Mons 2015 s'est réappropriée la dernière salle "privée" acceptant les étudiants (l'Alhambra). Elle l'a confiée, entre autres, au Mons Student Club. Groupement créé par la fondation qui ne permet paradoxalement pas aux étudiants d'y organiser leurs soirées. Une raison évoquée serait la consommation d'alcool. Paradoxalement, le Mons Student Club recrute des étudiants pour organiser des concerts pendant lesquels est vendu de l'alcool. Cherchez l'erreur...

Mouvement citoyen de Mons

Depuis peu, des initiatives impliquant les citoyens sont en train d'apparaître au travers du projet 2015 façons de participer mis en place par la Fondation Mons 2015. Pour l'instant, il y a 32 appels à candidatures de citoyens. Une simple inscription suffit pour vous mettre dans la liste de contacts pour l'un des projets. Et puis il ne reste plus qu'à attendre patiemment qu'on vous contacte.

Mais il suffit de lire les description des projets pour comprendre que, pour la plupart d'entre-eux, la fondation cherche simplement une "main d'oeuvre citoyenne" au profit de projets déjà définis en interne.

Même le projet Le Grand Huit qui est une super initiative mettant en scène 8 territoires du Grand Mons, ne semble pas attirer les foules. À l'heure actuelle, moins de 6 citoyens en moyenne sont inscrits par projet, alors que ça se veut hyper-local et hyper-citoyen !

Comment faire mieux ?

La critique est facile, c'est vrai. Et je reconnais qu'il est sûrement plus sexy de se soulever contre les autorités avec une brochette de bénévoles, comme à Liège, que rejoindre les rangs de projets citoyens créés par des fonctionnaires subsidiés par l'Europe... C'est pourquoi je lance ici quelques propositions d'améliorations.

1. Privilégiez la transparence

En avril 2014, un mini-scandale a éclaté parce qu'une fresque, qui aurait coûté plusieurs dizaines de milliers d'euros au contribuable, allait être démolie quelques mois après sa création pour des raisons d'acoustique. On peut comprendre la frustration, c'est vraiment pas de bol, ça peut arriver...

Mais l'erreur la plus grave dans cette histoire vient de Philippe Degeneffe, le chargé de gestion de l'Alhambra. Lorsqu'un journaliste lui demande combien a coûté la fresque, il a répondu « Cela ne vous regarde pas ».

Si vous voulez faire un projet dans notre ville, avec notre argent et notre soutien, le moindre détail nous regarde (d'ailleurs vous n'avez pas le choix car ce sont des fonds publics...) Faites-nous sentir que nous sommes des acteurs du projet, pas des spectateurs !

2. Priviliégez la transparence (bis)

Il y a 2015 façons de participer, mais je n'ai trouvé aucune façon de suivre l'avancement de chacun des 32 projets proposés. J'ai par exemple participé à la première réunion du Mons Student Club mais je n'ai reçu aucun email de suivi. Je n'ai pas reçu de procès verbal de la réunion et rien n'a été diffusé publiquement. Aucune trace, également, des PV des autres projets. Y a-t-il seulement déjà eu des réunions ?

Il faut absolument des ordres du jour et des procès verbaux des réunions. C'est le minimum pour tout projet citoyen et collaboratif qui se respecte ! Ces PV doivent être accessibles publiquement. Sans quoi personne ne se sentira jamais impliqué dans rien. Permettez aux gens de vous suivre et de voir que les choses bougent (ou au contraire ne bougent pas) !

3. Soutenez des projets existants, n'en créez pas de nouveaux

On sent la volonté de la Fondation Mons 2015 de créer de nouveaux projets. Mais, alors que fédérer des gens autour d'un nouveau projet est difficile, les fédérer autour de 32 projets est impossible.

Dans un même temps, on voit passer de nombreux projets culturels existants qui ont des difficultés à se maintenir par manque de soutien de la ville.

En voici 3 :

• Musée des arts décoratifs François Duesberg : ce petit musée privé est d'une importance capitale pour la plus-value culturelle de Mons. De fait, il est classé 2ème "attraction à voir" de Mons sur Tripadvisor, juste derrière la Grand-Place. Et pourtant, ce musée tenu par un octogénaire intrépide a besoin de rénovations car le bâtiment prend l'eau et se détériore. Il semble logique qu'une ville qui va être capitale culturelle doit faire tout pour l'aider à préserver sa collection. Et pourtant non et re-non (vidéo). À Mons, la culture ne peut apparemment pas venir des petites gens.

• PPM Fest et Trolls et Légendes : deux festivals sont en difficulté à Mons. Le premier est un festival de métal qui a attiré cette année 15 000 personnes en trois jours à Mons. Le deuxième est un festival basé sur le "fantasy" qui attire plus de 20 000 visiteurs. Et pourtant, ces deux festivals ont menacé de quitter Mons en 2015 suite à un manque d'intérêt de la part de la commune. Alors que Trolls et Légendes semble finalement avoir trouvé un accord, PPM Fest semble sur le point de rejoindre Charleroi à contre-coeur (vidéo). La ville devrait TOUT FAIRE pour garder ces festivals en 2015, à moins, peut-être, d'avoir une définition très étriquée de la "culture".

Ces projets culturels en difficulté ont été médiatisés, mais je suis persuadé que d'autres projets citoyens ont été accueillis dans l'indifférence la plus totale.

La ville ne cesse de déclarer qu'elle n'a plus d'argent. Mais n'ont-il pas budgétisé le soutien de projets "privés" lorsqu'ils ont reçu leur enveloppe de 60 millions d'euros ? Tout l'argent a-t-il été distribué dans des projets publics hasardeux qui n'ont pas encore fait leurs preuves ?

2015 Citoyens

Je me sentais impuissant face à la "machine" Mons 2015. J'avais envie que les citoyens s'expriment plus et publiquement, qu'ils puissent donner leur avis sur ce projet en toute franchise et non à travers une communication centralisée par la fondation.

C'est pourquoi j'ai créé http://2015citoyens.be, ma petite pierre à l'édifice d'un Mons 2015 plus proche des citoyens. Un espace d'expression sous forme de mosaïque où chaque citoyen peut, en quelques clics, donner son avis sur l'aventure Mons 2015. Une initiative que j'ai même eu l'occasion de présenter sur TéléMB dans l'émission 2015 Histoires (vidéo).

J'espère que d'ici la fin de l'année 2015, cette mosaïque regroupera, pour la postérité, 2015 citoyens et leur avis sur un événement qui n'aura laissé personne indifférent.

Même si rien ne me ferait plus plaisir de voir une année 2015 exceptionnelle, et surtout une ville boostée pour les 10 ans à venir, j'ai peur de ne jamais voir apparaître un mouvement citoyen aussi soudé qu'à Liège en 2008-2009...